Chryso Louis-Dory

La massothérapie narrative

Quand le corps raconte...

Le corps aussi parle

 

Le corps a bien souvent « une voix à faire entendre ». Il a parfois « internalisé » des histoires de problème au point de rendre difficile l’interaction avec soi et avec autrui.

Lorsque l’on décide de « donner une place au corps » dans un accompagnement la personne est invitée à s’écouter et à progresser dans le respect de ses blocages et dans ses capacités d’accueil.

 

En tant que massothérapeute, ma pratique n’est pas comparable à celle des instituts de bien-être habituels ni à des techniques reposant sur une quelconque « cartographie du corps ». Elle n’endosse jamais la posture d’un expert mais celle d’un écoutant., d’un apprenant considérant la personne comme unique et singulière.

 

Ma pratique repose sur le fait que deux intuitions (la mienne et celle de la personne corporellement écoutée) peuvent s’ajuster et se rencontrer profondément pour permettre le travail nécessaire.

 

Elle n’est pas simplement « réceptive », le mouvement est possible, l’expression aussi. Souvent un geste est encouragé par le corps, là où quelque chose cherche à se dire : je pense, par exemple, à cette personne qui, suite à un geste anodin de ma part, a éprouvé une vive douleur à la mâchoire. Le fait qu’elle n’ait rien manifesté ni empêché en situation, lui a fait dire et prendre conscience de tout ce qu’elle acceptait de subir dans une relation des plus toxique à laquelle elle a d’ailleurs rapidement mis fin.

 

C’est l’expérience corporellement vécue lors du massage qui lui avait donné accès à cela. Lorsque le corps est écouté, il peut raconter ce qui doit être entendu.

 

Souvent l’expérience d’un toucher écoutant est aussi l’occasion d’ajouter ou de réactiver une expérience valorisante à celles qui ont manqué ou qui furent à l’origine de blocages invalidants.

 

Les temps de parole avant et après la séance de massage proprement dite sont précieux, ce sont eux qui ponctuent les progrès, les perspectives, les prises de conscience et de décision.

 

Un témoignage éclairant

 

Le travail thérapeutique vécu avec S. m’a beaucoup marqué.

 

La première image que j’en ai eue était frappante : 24 ans, un pull large cachant ses formes (y compris ses doigts toujours dans ses manches) et des larmes au bord des yeux en permanence.

Elle avait été abusée à plusieurs reprises, connaissait un garçon depuis déjà 6 ans, commençait un travail de logopède mais vivait toujours chez sa mère et avait des difficultés à s’engager dans sa vie.

 

Les premières séances furent surprenantes d’immobilisme. Calée sur le ventre, elle ne se laissait toucher que le dos.

 

Durant plusieurs séances, j’avais l’impression que rien ne se passait, cependant, elle reprenait rendez-vous régulièrement.

 

Nous avons parlé et cherché ensemble ce que nous pouvions faire évoluer.

Durant un moment, jugeant la nudité en sous-vêtements peut-être prématurée, les habits ont été utiles à plus de confort. Plus tard, les « deux faces », comme elle disait, ont pu être expérimentées.

 

Toutefois, je me sentais, moi, toujours quelque part en porte-à-faux, mon « mental » me dictait un toucher plein, rassurant vu le contexte d’abus.

 

Me vint alors une idée, je lui proposai de m’allonger, moi, sur la table et l’invitai à me masser le bras pendant un moment.

Ce qu’elle fit, fut une révélation, c’était d’une légèreté diaphane !

 

Je la questionnai sur ce toucher particulier et elle me révéla que, petite fille en regardant la télévision, sa grand-mère lui faisait cela et que c’était un souvenir merveilleux ! Il y avait donc là, au-delà des mauvaises expériences, une histoire préférée, une « pépite » à côté de laquelle il ne fallait pas passer !

 

A partir de ce moment, mon toucher se fit lui aussi léger que le sien et bien des choses se délièrent : plus besoin des habits pendant le massage et plus surprenant encore : plus de larmes au bord des yeux, plus de doigts dans les manches mais des tenues plus printanières et féminines : jupes, bottillons et blouses à manches courtes !

 

Un jour, alors que le massage était resté jusque-là très passif, un mouvement s’esquissa nous emmenant dans une sorte de danse improvisée.

Le plus impressionnant fut qu’à la rencontre suivante elle déclara : « J’ai pris de grandes décisions : je quitte ma mère, protectrice mais un peu envahissante, j’ai décidé de vivre avec mon compagnon, d’ailleurs nous venons de signer pour l’achat d’une maison ! ».

 

Le mouvement apparu en séance avait activé également le reste de sa vie ! Béjart disait « J’aime le corps, car, avec lui, je ne me perds jamais ».

 

Du massage à la conversation narrative

 

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, il ne s’agit pas ici d’utiliser le questionnement narratif pour « interroger le corps » comme s’il s’agissait d’une sorte d’oracle, mais de donner place à la dimension corporelle de la personne qui, avant de pouvoir parler, ne l’oublions pas, est entrée d’abord en relation kinesthésique avec le monde environnant.

 

La massothérapie est avant tout une expérience de langage premier, émotionnel, relationnel. Y revenir est une façon de se reconnecter avec son humanité profonde sans trop faire intervenir le mental (bien utile mais limité).

 

J’ai parfois l’impression qu’en rétablissant le contact, elle permet une sorte de réinitialisation du système entier.

 

Cela se fait plus facilement à deux que seul. Un dialogue intersubjectif inconscient s’active lors de la séance. C’est cette alliance humaine qui ouvre le champ de nouvelles perceptions de soi et des autres..

 

Il est sans doute possible bien entendu de s’écouter soi-même, y compris corporellement, (je pense que certains Yogis y arrivent). Pour la plupart d’entre nous, la conscience du corps et des messages qu’il peut nous transmettre passe par le toucher d’autrui.

 

Au moment du massage, on est purement dans le ressenti. Les pensées parfois sont présentes mais finissent toujours par se fondre dans la présence à l’instant toujours en transformation.

 

C’est après la séance (et souvent même les jours suivants) que les mots viennent généralement. C’est alors que l’accompagnement peut s’ouvrir par exemple sur une séance de thérapie narrative inspirée par ce qui aura été mis à jour.

 

Converser sur ce qui a émergé lors du massage est alors une porte ouverte vers des explorations riches. Le ressenti du corps a été le déclencheur de nouvelles narrations.

 

Quels que soient l’entrée et les parcours, toujours singuliers, massothérapie et thérapie narrative se combinent et se complètent chaque fois de façon originale, il faut, disait Erickson, « pour chaque personne, tout réinventer».

 

C’est ce qui me passionne dans ma pratique de massothérapeute narratif !


Chryso Louis-Dory

 

 

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