Accompagner des jeunes avec l'Approche narrative : un partage d'expérience
Le texte qui suit est un témoignage d’une pratique d’accompagnement colorée par le questionnement narratif. Le coach, Sandrine Blondiau, praticienne narrative formée chez Les Réveilleurs d'histoires, nous partage sa manière d’accompagner des jeunes en difficultés. Elle les reçoit dans son cabinet, cet espace sécure où le champ des possibles est ouvert.
Comment démarres-tu ton coaching ?
Quand un jeune arrive en coaching, il ne vient rien « honorer » du tout ! Il vient avec un ou des problèmes et il n’a pas réellement conscience d’une identité préférée qu’il souhaiterait promouvoir.
Alors avec la magie de la
bienveillance et la force tranquille de la pratique narrative,
je remercie le jeune pour la confiance qu’il est prêt à m’accorder apriori (dans un monde où quand on croise un inconnu on a tendance à serrer son sac contre soi, plus encore s’il nous sourit, le bénéfice du doute est un premier cadeau qu’il me fait !) et pour sa démarche sage et mature (car demander de l’aide au lieu d’avoir le réflexe de se terrer au fond de sa grotte, c’est intelligent, fort et courageux).
Les mots sont juste posés tels des graines sur une terre fertile, attendons la récolte…
Et puis avec des métaphores je parle de notre collaboration, de nos rôles respectifs, et je lui explique qu’il n’est pas le problème, qu’on va travailler à identifier, extirper et rikikiser (c’est-à-dire rendre tout ‘ti rikiki) le monstre noir qui le mine. Souvent ils me prennent pour une sympa-dingue, ce qui casse une certaine distance entre nous, mais aussi le côté apriori insurmontable de leur problème.
Comment s’installe l’échange avec le coaché ?
Je laisse la place pour les questions, pour les silences. Et si « la gêne » ne se dissipe pas encore, avec l’innocence du quotidien, je pars à la
pèche à la ligne pour choper étincelles et poussières d’étoiles. Mais qu’entends-je ? Le bruit des semences et du terreau qui s’unissent….ça y est, l’eau circule à nouveau dans les micro-sillons, la salive alimente les conversations, le sang rempli le cœur et l’air les poumons, parfois les yeux s’humidifient (c’est souvent dû au retour du boomerang de l’auto-amour ou de l’auto-compassion parti depuis un certain temps mais qui revient enfin), d’autres fois encore les postillons d’éclats de sourire et de fierté paillettisent (du verbe mettre des paillettes !) l’atmosphère.
Dans ces moments-là, il m’arrive de demander à la personne que j’accompagne de se lever et d’aller se regarder dans le miroir qui se trouve un peu plus loin, car elle est déjà en chemin vers cette autre elle-même qu’elle ne connaissait pas/plus et qui commence à germer. Sinon, je me contente de répéter les mots magiques qui viennent d’être dits pour qu’ils fassent des ricochets dans les cœurs et provoquent des ondes de prises de conscience.
Mais ne soyons pas trop fleur de bourrache (…) ; pour les adultes déjà, il n’est pas toujours facile d’y voir clair, de s’exprimer, de suivre une piste de réflexion et de prise de décision, alors quand on est ado, qu’on a entre 12 et 25 ans et qu’on ne se sent pas au top, la confrontation peut s’avérer trop urticante. Quoi de plus « simplistiquement » efficace, dès lors, que d’être totalement présente à la personne face à moi, supportive, positive, réaliste et originale, voire un peu fantasque ? Pour cela, rien de plus simple, il suffit d’ouvrir le coffre magique de l’Approche Narrative. S’en dégagent des parfums exotiques et réconfortants de ressources, tant pour le praticien que pour la personne. Je propose à l’ado que j’accompagne de choisir d’explorer telle ou telle piste, d’utiliser tel ou tel outil….Mince, une graine de prise de décision !
Pourrais-tu nous partager un premier exemple d’accompagnement ?
Il était une fois, un tout jeune coaché qui rêvait de devenir le futur Ronaldo. Attendant de moi que je sois un peu comme son entraineur de foot, un peu perdu dans les conversations trop réflexives, mais super motivé, trouvant ses pistes de solutions avant même de mettre un nom sur sa demande, les mettant en pratique efficacement presque sans s’en rendre compte, mais pourtant continuant de douter de lui-même.
Quel bonheur d’orienter les caméras sur ses exploits étouffés pour les faire briller. Trop fastoche, très plaisant, et pourtant cette intuition qu’il ne suffit pas de la bonne réponse mais de la meilleure pour que cette jeune graine de champion puisse bien pousser. Alors j’ai fait un tour dans le coffre de l’Approche Narrative et j’ai transformé l’arbre de vie en terrain de foot, on y a mis un dragibus en guise de ballon (c’est les bonbons préférés de mon coaché) et on a complété le terrain avec les mots qu’on avait déjà. Puis on a trouvé le nom à mettre dans le but adverse. Sur les bords du terrain les mots du coach à son égard (en fait ses mots d’encouragement et de motivation à lui). Dans son équipe, outre ses qualités on a ajouté ses ressources. Quand mon coaché s’est posé en arrière dans son siège et m’a dit « mais en fait maintenant j’ai compris ce qu’on fait. Tu me fais parler de moi et de tout ce que je sais faire pour que j’ai confiance. », j’ai laissé glisser au sol les questions que j’avais prévu pour poser des mots sur l’équipe adverses (je voulais qu’il nomme ses besoins et ses rêves) et il a complété avec ce qui pouvaient être ses feintes et ses tactiques pour continuer de contourner ou passer chaque adversaire -après tout, méritaient-ils qu’on prennent le temps de les nommer alors qu’on avait les mots pour les vaincre ?
Et quand sa maman lui a demandé si il voulait qu’on se revoit la semaine suivante, en roulant la feuille de son terrain de foot pour le reprendre avec lui, il lui a dit que non, qu’il avait besoin de temps pour tester de nouvelles tactiques et voir si ça marchait avant de pouvoir venir m’en reparler.
Pssst, je crois avoir vu une graine d’autonomie germer par ici 😊
Et si l’ado parfois cale ou sèche, no stress, le coffre de l’Approche Narrative est toujours plein, et ce petit temps d’arrêt est loin d’être mort, au contraire, il est source d’apprentissage, ou preuve qu’on peut essayer, ne pas y arriver du premier coup, réessayer ou changer d’approche. Adaptation, observation, remise en question, analyse, nouveau point de départ, apprentissage, courage d’essayer à nouveau….
En approche narrative, on parle d’externaliser le problème. Comment fais-tu ?
Quand à une jeune coachée, stressée par son tout premier blocus et sa première session d’examens de bachelier, j’ai proposé de jouer aux détectives pour identifier les fauteurs de troubles académiques, nous avons rencontré Mr Doute et Melle Solitude. Nous les avons salués et nous avons conversé avec eux. Ils étaient assez coopératifs et conciliants….la politesse et la douceur, ont des vertus encore fort sous-estimées par certains. Au final, ils se sont effacés pour nous permettre de voir qu’ils n’étaient en fait que les fantassins cachant Mme Procrastination. Une vraie dure à cuire, carrément dans la peau de ma coachée au point qu’elle croyait que ça lui donnait un genre cool, limite la fille avec une life hyper-occupée et qui s’en rajoute encore et encore. Elle pensait être née comme ça. Un vrai syndrome de Stockholm ! C’est quand je lui ai demandé ce que Mme Procrastination lui voulait vraiment quand elle la gardait bien serrée dans ses bras au fond du lit le matin en puant du bec que le déclic s’est opéré.
Ma coachée a donc pris le parti de ne plus se laisser embrasser qu’en fin de journée et en période de congés ; avant ça elle avait un train à prendre …et comme les trains sont toujours à l’heure (…), pas le temps de négocier ou de se faire hypnotiser par Procrastination.
Il y a peu j’ai reçu un mail m’informant que le train était arrivé à destination du premier coup. Le blocus et la session de juin se sont bien passés, mais il y a encore des choses que ma coachée a repéré et compte améliorer avec bienveillance et auto-discipline pour la suite de ses études.
Et bam ! Voilà même que les coachés fabriquent leur tuteur pour mieux pousser maintenant…mais c’est le monde à l’endroit ça Madame !!!! 😉 J’adoooore.)
Comment se clôture ton accompagnement ?
Mais quels sachets de graines choisir dans ce champ multicolore, ce jardin au naturel, ce potager médicinal, cette expérience de permaculture ? Je n’en puis plus, et je laisse donc ça à celui qui choisit de cueillir le fruit de ses mots, de ses silences, de ses émotions !
Si l’Approche Narrative fait partie des thérapies dites brèves, il faut bien se rappeler qu’on récolte ce que l’on s’aime, donc inutile de risquer de brûler les jeunes pousses avec du concentré d’engrais ! L’idée c’est que repartant de chez moi, la plante adolescente soit saine, qu’elle ait conscience (au moins d’une partie) de ses ressources pour continuer à pousser, en dépit des aléas de la météo de son existence, car elle a rencontré ses soleils intérieurs.
Merci à l’Approche Narrative de nourrir tant la personne accompagnée que son praticien.